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LIBERTE D'EXPRESSION DES JOURNALISTES : PROTECTION APPUYEE DE LA CEDH

Le 08 novembre 2012
L'arrêt de la CEDH du 16 octobre 2012 vient protéger la liberté d'expression d'un journaliste exprimant un jugement de valeur sous fond de débat d'intérêt général

Cet arrêt SMOLORZ du 16 octobre 2011 de la CEDH mérite qu’on s’y arrête.

Il consacre la liberté d’expression d’un journaliste polonais (requérant), condamné par les juridictions polonaises pour atteinte à la réputation, pour avoir publié un article critiquant vertement la laideur des constructions d’un architecte réputé.

Cet arrêt apparaît également incontournable en ce qu’il reprend avec pertinence tous les arrêts fondateurs de la CEDH en matière de liberté d’expression.

Un arrêt à communiquer urgemment aux soutiens de toutes les défenses des journalistes lorsque leur liberté d’expression est en jeu.

I - SAISINE

Suivant requête déposée contre la république de Pologne, M. Michał Smolorz (le requérant, journaliste) a saisi la CEDH le 16 avril 2007 en alléguant, notamment, que sa condamnation civile par les juridictions polonaises pour atteinte à la réputation de J.J. (architecte « victime ») constituait une violation de son droit à la liberté d’expression sur le fondement de l’article 10§2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen.

Pour rappel l’article 10 de la convention énonce :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

 

2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

 

SUR LES FAITS

En mai 2004, ledit journaliste publie dans une gazette les mots suivants :

« M. Jurand Jarecki et l’équipe entière des architectes d’alors à Katowice étaient convaincus qu’ils créaient des choses grandioses et rendaient les gens heureux. En réalité, ils créaient de la grandeur et du bonheur à la taille d’un imperméable et d’une cravate sur un élastique. (...)

Qu’est-il resté à Katowice de cette époque de « joie de démolir » de Jurand Jarecki et ses camarades ? De ces immeubles construits à l’époque, en réalité seul le Spodek [littéralement, « la soucoupe »] a résisté à l’épreuve du temps. Et c’est tout. Tout le reste, censé être symbole de la « modernité », qui a remplacé l’architecture moderniste détruite et autres immeubles de valeur n’inspire aujourd’hui que de la honte de par sa commune laideur et son esthétique pourrie du bolchevisme. Déjà à l’époque de leur construction les fameux grands magasins Zenit et Skarbek plaisaient uniquement à l’architecte et aux apparatchiks du parti. De nos jours, ils éblouissent par leur laideur et défigurent la place du marché(…)

Comment peut-on ne pas s’en vouloir alors que des milliers de gens ont été condamnés à vivre dans la laideur et qu’on a apposé sa signature sous l’anéantissement du patrimoine matériel de la civilisation silésienne ? ».

RAPPEL AUX PRINCIPES GENERAUX :

La Cour rappelle que dans le contexte de la liberté de presse, l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général (Sürek c. Turquie(no 1) [GC], no 26682/95, CEDH 1999-IV, § 61).

Si l’article 10 § 2 permet de protéger la réputation d’autrui, c’est-à-dire de chacun, les impératifs de cette protection doivent toujours être mis en balance avec les intérêts de la libre discussion des questions politiques (Lingens c. Autriche § 42).

Suivent pour rappel l’ensemble des grands principes jurisprudentiels construit par la CEDH…

L’accent est mis sur la distinction entre les déclarations de fait et les jugements de valeur. Il est rappelé que si la matérialité des premières peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude. Pour les jugements de valeur, l’obligation de preuve est donc impossible à remplir et porte atteinte à la liberté d’opinion elle-même, élément fondamental du droit garanti par l’article 10. Toutefois, même lorsqu’une déclaration équivaut à un jugement de valeur, la proportionnalité de l’ingérence dépend de l’existence d’une base factuelle suffisante pour la déclaration incriminée puisque même un jugement de valeur peut se révéler excessif s’il est totalement dépourvu de base factuelle (Turhan c. Turquie, no 48176/99, 19 mai 2005, § 24, et Jerusalem c. Autriche, no 26958/95, CEDH 2001-II, § 43).

APPLICATION AU CAS D’ESPECE

La Cour s’est déterminée sur le fait de savoir si la mesure d’ingérence incriminée dans la liberté d’expression du journaliste était proportionnée au but légitime invoqué et nécessaire dans une société démocratique.

L’analyse de la Cour est la suivante

-      Il s’agissait d’un échange d’opinions sur l’urbanisme d’une ville et donc, incontestablement d’une question d’intérêt général

-      En conséquence, les mesures restrictives prises par les juridictions polonaises sont de nature à empêcher les journalistes d’engager des discussion sur des problèmes publics

-      Les critiques du journaliste s’apparentent à un jugement de valeur sur un fait historique (l’état de l’architecture d’une ville)

-      Le sujet restait très subjectif par sa nature, se prêtant difficilement à une évaluation concrète et objective.

-      Les propos employés n’étaient ni vulgaires ni outrageants

-      Enfin, le journaliste ne visait pas les qualités personnelles de son adversaire mais seulement les éléments précis de son acquis professionnel.

En conclusion, la Cour estime que, compte tenu du contexte de la publication incriminée, le style et les moyens d’expression employés par le requérant étaient en rapport avec la nature des questions abordées dans son article.

SUR LA CONDAMNATION DU GOUVERNEMENT POLONAIS :

La Cour a donc considéré que l’article 10 de la convention avait été violé par les juridictions polonaises et a condamné le gouvernement polonais à régler au journaliste la somme de 2.000 euros de dommages et intérêts et 310 euros au titre des frais exposés pour sa défense devant les juridictions nationales ( !).

Pour la décision complète (non définitive) :

CEDH 16 octobre 2012, AFFAIRE SMOLORZ c. POLOGNE (Requête no 17446/07)

http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx?i=001-114071#{"itemid":["001-114071



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